Cauchemar Montagnard. Épisode 2

Cet article est la suite de mes péripéties lors d’un voyage fait à l’improviste. L’épisode 1 est ici.

J’entrai dans la cuisine, reposée et annonçant à la cantonade que j’avais fait un rêve érotique formidable, ce qui me valut d’être traitée de traînée par Z. À table, se trouvait Machine. Machine, si tu me lis, sache que je ne me souviens plus de ton prénom, ce qui est peut-être une bonne chose, vu le contenu qui va suivre.

Machine avait traversé la France en stop, ce que je trouve très classe. Il était convenu qu’elle embarque avec R et Z, qui voyageaient dans une grande voiture qui remorquait une caravane.

Le début du chaos

Quand j’ai reçu mon diagnostic, on m’a dit que j’étais un cliché d’autiste, à juste titre : je suis monstrueusement organisée. Même en ayant plus ou moins improvisé mon voyage, j’avais réussi à partir léger, avec seulement une valise et un petit sac glacière (pour ma skin routine, eh oui). J’ai une liste permanente du contenu d’une valise, sur mon téléphone, par conséquent, je peux être prête et ne rien oublier en un temps record. Avec une trousse de toilette en double déjà prête et des filets de rangements pour les vêtements. Si je dois partir à la dernière minute, je n’ai même pas à réfléchir, mon sac se fait tout seul.

Apparemment, ce que je désigne comme « le chaos », est un fonctionnement tout à fait normal en dehors de l’autisme. Cette optimisation de quotidien pour contourner les tâches détestées (dans ce cas, faire ses valises) n’est pas réfléchies par la plupart de mes connaissances, d’après mon expérience.

R n’avait pas réellement fait ses valises, au moment où elle était censée partir. Elle a procédé à faire quelque chose de très perturbant : un mini-déménagement. Ainsi, elle s’est mise à entasser chaotiquement (à mes yeux) des tas d’affaires dans la caravane. Bientôt, la caravane fut pleine, mais elle voulait encore emporter des merdes.

DES TAS DE MERDES.

Alors, la voiture a vite été remplie à son tour. La berline cinq places ne pouvait plus que contenir deux personnes : elle et Z.

Évidemment, c’est face à ce constat qu’ils et elles se sont tournés vers moi : « Julia, tu peux prendre Machine avec toi ? On n’a plus de place… ».

Eh merde. J’aurais dû partir plus tôt, au lieu de vouloir les attendre.

Mais, R est une chouchou, en dehors de sa nature chaotique. Toujours prête à dépanner autrui, toujours gentille et drôle. Ainsi, je l’ai fait pour elle, car honnêtement, je m’en moquais, de Machine.

Je déteste voyager en voiture avec des inconnus. Cela gâche tout le plaisir du road trip. Mais, j’ai pris sur moi, et ai dit à Machine de mettre ses affaires dans la voiture et que nous partions (avant que R essaie de me refourguer un mini-four dans ma Twingo, ou quelque chose dans le genre).

Le road trip infernal

Alors que je démarre la voiture, R et Z ressortent le désordre de la caravane et de la voiture pour modifier le rangement afin d’y engoncer davantage de merdes. Des frissons d’horreur parcourent encore ma nuque délicate à ce souvenir.

Ce n’est qu’en commençant à prendre des virages, pour rejoindre l’autoroute, que j’ai compris qu’un agent du chaos s’était, elle aussi, infiltrée dans ma Twingo.

La meuf avait voyagé en auto-stop en transportant des tonnes de sacs remplis de tonnes de merdes. Je ne saurais même pas dire combien de sacs, mais assez pour :

  1. Recouvrir l’entièreté des sièges arrière
  2. Cacher le pare-glasse arrière, empêchant toute visibilité.

Et bien sûr, elle avait simplement balancé de façon aléatoire ses sacs de merde à l’arrière de la voiture. Sacs qui se cassaient la gueule et valsaient partout au moindre virage et à la moindre accélération.

Voilà ce qu’il se passe, à force de ne pas être une maniaque du contrôle. On laisse faire les gens, et l’on se fait avoir.

Il est trop tard, j’arrive déjà sur la brettelle d’autoroute et je ne peux pas m’arrêter pour ranger le zbeul à l’arrière. Show must go on.

Née de la dernière pluie caniculaire

Heureusement, Machine n’est pas d’humeur bavarde et pionce la plupart du trajet. C’est déjà ça. Mais, voilà, à un moment, elle me demande pourquoi je choisis d’emprunter l’autoroute, plutôt que les routes nationales. Je ne sais pas trop quoi lui répondre, à part « Ça va plus vite et c’est plus confortable (mes bien-aimées aires d’autoroute !!!) ». Elle me dit que je soutiens Vinci en payant le péage, bla bla bla.

C’était drôle de la voir m’apprendre des choses sur Vinci alors que j’ai passé une année entière à les emmerder personnellement, quand je vivais à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes au milieu des putains de bois, sans eau et sans électricité pendant un an. C’est une chose qui arrive régulièrement, que les gens me prennent pour une dinde, sans se douter une seconde d’à qui ils parlent.

Je n’ai pas pris une seconde pour le lui expliquer. J’ai haussé les épaules et ai lancé un podcast.

J’ai essayé d’être gentille avec Machine, je le jure, même si elle m’a rendu la tâche compliquée. Pourquoi ? Parce que la meuf était coincée avec moi, comme je l’étais avec elle, et que je voulais la paix sociale à l’intérieur de la Twingo, tout simplement.

Dans cette optique, je lui ai proposé un donut parmi ceux que je venais d’acheter. Elle s’est donc servie et a grignoté son donut, mais ne l’a pas fini complètement. Il lui restait un bout minuscule, imbibé de salive mélangée au sucre glace qui fondait sous la canicule. Au lieu de le jeter, qu’a-t-elle fait ? Elle l’a remis dans la boîte.

Par-dessus les autres donuts.

Puis a refermé la boîte.

Son putain de petit reste dégueulasse, sur les autres donuts, sous 40 degrés Celsius très exactement.

Sans vous mentir, j’ai senti mon pouls s’accélérer et la crise cardiaque menacer mon petit cœur bien trop fragile pour ce genre de tourments.

Lorsqu’nous nous sommes arrêtées pour déjeuner, j’ai discrètement jeté la boîte. No regrets.

Compétences psycho-sociales : not found

Si vous me connaissez IRL, vous savez que je mène la grande vie. Je ne me soucie pas de préparer un casse-croûte pour le voyage. Je ne me trimballe pas de Tupperware et je mange en route, si c’est à mon goût ou j’attends de rentrer chez moi/d’être arrivée à destination pour ce faire.

Là où l’on voit « la belle vie », c’est en réalité une volonté de ne pas m’encombrer de tâches intéressantes. Je suis prête à payer, plutôt que de devoir me préparer un repas complet à emporter lors d’un déplacement. Le mieux que je puisse faire, c’est d’embarquer une banane.

Machine avait, elle, embarqué de la bouffe. Je vais tout vous avouer : j’avais envie d’être seule. Je ne voulais pas manger avec elle. Je lui dis que je vais me chercher à manger, mais elle décide de m’accompagner. À ce stade, j’imagine que lui dire de me laisser seule va lui faire bizarre, encore une fois, je n’ai pas envie de la brusquer.

J’ignore comment on en est arrivées à se retrouver attablées à la table d’un resto, moi mangeant mon menu et elle mangeant son houmous et son jambon sec sur du pain. Je craignais que l’on se fasse dégager, car elle en foutait partout, ce n’était vraiment pas discret. Pourtant, elle est allée jusqu’à interpeller le serveur pour qu’il lui apporte de l’eau ou une serviette, je ne sais plus trop.

C’est là que je me suis dit « C’est donc ça, le manque de compétences psycho-sociales ». Je me suis demandé si les gens me voyaient faire, parfois, en ressentant le même effarement que je ressentais face à Machine.

Les leçons de Machine

Machine m’a grandement appris sur moi-même et sur la vie, en général. J’ai intégré certains codes et m’y tiens rigoureusement :

  • On ne doit pas avoir de scrupules à jeter de la bouffe qui contient la salive d’autrui
  • Si l’on pénètre dans l’espace d’autrui, on gêne le minimum
  • On ne s’attable pas à la table d’un restaurant pour manger son propre repas
  • On n’essaie pas de reprendre une personne que l’on ne connaît pas (d’ailleurs, on risque d’éloigner les gens que l’on connaît si on le fait)

Machine ne vivait pas selon mes règles, ce qui m’a choquée. Soyons clairs, Machine est une sans-gêne, il n’y a aucun doute là-dessus. Cependant, je pense que l’on peut porter le même regard sur moi, ou sur n’importe quel autiste, quand on débarque dans un environnement où les codes sont implicites et qu’on fout tout en l’air, comme Machine l’a fait dans ma voiture.

« Non, Julia, Machine semble objectivement insupportable », me direz-vous peut-être, influencés par ma version de ce récit. Peu importe. Notre tolérance à l’intrusion et à la rupture des codes est subjective. Ce qui importe, c’est comment on réagit, face à une Machine.

Je me suis contentée d’observer Machine, en cachant mon effarement face au donut baveux, au bordel et aux miettes de pain qu’elle répandait partout sur la table du resto. Cependant, je n’aurais pas tenu longtemps ainsi, je dois bien le reconnaître. Si Machine avait été, par exemple, ma colocataire, j’aurais déjà prévu mon déménagement.

La destination, enfin… unless?

Machine s’est réveillée brusquement alors que je manquais ne nous tuer, elle, ses sacs de merde, la Twingo et moi-même, en surgissant à toute vitesse dans un virage serré qui marquait notre arrivée dans la cambrousse.

Nous arrivâmes enfin sur le lieu des Rencontres Pédagogiques, ayant épuisé l’une de nos neuf vies et transpirantes. Machine sortit sa montagne de sac pour aller installer sa tente sous le cagnard, puis je trouvai une place, peu dénivelée et à l’ombre, où stationner et m’installer.

En sortant de ma voiture, j’inspirai un grand coup. Enfin, j’allais pouvoir me décrasser et boire un verre, avant de profiter d’une bonne nuit de sommeil.

Du moins, le croyais-je.