Ces Allié.es Qui N'en Sont Pas
Les notes en bas de page ont été ajoutées en 2022, 7 ans après la publication de ce post.
Le titre de ce poste reprends le titre de Superpépette , Ces autistes qui n’en sont pas, où il est question de personnes se disant autistes sans l’être réellement…
Je sais, moi aussi j’étais so shocked.
Au commencement était le diagnostic
Je vais parler d’un sujet très épineux pour moi. En effet, si certain.es ont le “t’es pas autiste” facile, je refuse, pour ma part, de m’autoriser à présumer de la neurotypie de mon prochain.
Premièrement, je n’en sais rien, deuxièmement, c’est brutal pour la personne qui se prend cette affirmation en pleine tronche, alors qu’elle est peut-être désorientée et dans une phase de questionnement qui, comme les autistes qui me lisent le savent bien, est extrêmement perturbant.
Rappelons de plus que la neuroatypie ne concerne pas que l’autisme mais également de nombreuses autres conditions, allant de la schizophrénie au mal-nommé “haut potentiel”.1
Seulement.
Derrière le masque compensatoire
Superpépette n’a pas la gâchette facile. Elle fait partie des personnes les plus bienveillantes 2 à ma connaissance.
Mais faut pas pousser mémé dans les orties (oui Jujue, mémé c’est toi). S’il y a bien quelque chose dont nous pouvons parler, les autistes Asperger, c’est de l’autisme. Nous savons bien que nous développons des mécanismes de compensation tellement badass 3 qu’il est difficile pour les autres de voir ce que nous sommes vraiment.
Mais s’il y a bien un moment où nous arrêtons de jouer aux “personnes normales”, c’est entre autistes. Quand nous suspectons qu’une personne se disant autiste se leurre, sachez une chose: on est les mieux placé.es pour le savoir.
Cela n’implique pas d’ignorer la personne, de la violenter verbalement ou de la prendre de haut. On peut en discuter posément, comprendre d’où viennent les difficultés sociales, et tout cela avec bienveillance 4 envers la personne concernée.
C’est ce que fait Superpépette, qui possède une patience infinie dont le ciel ne m’a pas gratifiée. Les personnes dans le doute ou en quête d’identité à travers l’autisme ne posent pas forcément de problèmes, c’est juste déconcertant. Mais il y a les autres. Et cette deuxième catégorie, préparez-vous psychologiquement, car elle fait plutôt peur.5
Révélation chic et choc
Je pense que je vais choquer des gens en disant que l’autisme est un business pour beaucoup de neurotypiques qui s’auto-proclamant “concerné.es par l’autisme” : pseudo-spécialistes de l’autisme, soigant.es, parents, tout le monde y va de sa petite opinion sur les thérapies à pratiquer, les souffrances de l’entourage, leur noble combat.
Il suffit d’aller faire un tour sur les blogs des parents d’enfants autistes pour constater avec quelle insouciance les parents dévoilent l’intimité de leurs rejetons depuis leur plus jeune âge, sans se soucier du consentement de ceux-ci. 6
Mettons les choses au clair [SPOILER: ça va chier].
VOUS
N’ÊTES
PAS
LÉGITIMES
Chut. Je ne veux pas vous entendre vous défendre, ni argumenter. Vous n’êtes pas “concerné.es” par l’autisme si VOUS N’ÊTES PAS autistes.
C’est tout.
Vous avez peut-être l’immense privilège de vivre au quotidien avec un.e personne autiste, mais vous n’avez aucun droit de vous approprier ce combat ni de parler en notre nom. Vos ABA, vos chouineries, vos actions anti-packing et tout le tralala, permettez-moi de vous dire que c’est très embarrassant. Car toute cette énergie et cet argent dépensée à la recherche de moyens “d’intégrer” les autistes dans votre monde et à nous faire apprendre votre langage, vous ne la dédiez pas essayer d’appréhender notre monde et notre langage.
Vous qui écrivez des témoignages poignants “mon fils ma bataille” pour décrire votre “combat contre l’autisme”, vous n’avez pas la moindre idée d’à quoi ressemble notre monde, des mille et une subtilités qui le composent: je vous ai lus, oui, je me suis infligée vos jérémiades, et je peux vous dire que vous êtes à dix mille lieux de savoir de quoi vous parlez.
Utiliser vos enfants comme caution et vous faire mousser sur les plateaux télé ne fait pas de vous des personnes nobles, loin de là. [^7]
Le revers de la médaille qui ne va pas vous plaire
Heureusement, de plus en plus d’autistes prennent la parole et remettent à leur place les “belles âmes” usurpant leur place au sein de la communauté autistique.
On assiste à une réappropriation du discours autour de l’autisme par les concerné.es, à travers divers blogs et conférences, ainsi qu’à la production d’œuvres visuelles et artistiques qui viennent bouleverser la vision qu’avaient les neurotypiques de l’autisme. Parmi ces œuvres-nombreuses- je citerai la magnifique vidéo “In my language” d’Amanda Baggs, que je n’ai jamais pu me lasser de regarder depuis sa découverte.
Petit à petit, les autistes s’organisent et des projets se construisent. On se fait parfois accuser de “communautarisme” par les personnes qui se retrouvent exclues car non-concernées. Le fantôme communautariste est typiquement français, d’ailleurs, il fera l’objet d’un autre billet. Quoi qu’il en soit, on commence à accorder -vaguement- de l’importance à ce que les autistes ont à dire. 7
Les mythos
Et c’est là que nous arrivons à nos fameux autistes mythos. Car oui, se faire passer pour autiste peut rapporter, ma bonne dame. Pas seulement pécuniairement mais aussi sous la forme d’une notoriété ou d’une légitimité. Vous trouvez cela farfelu? Vous n’avez peut-être pas entendu parler de Rachel Dolezal?
En matière d’usurpation de la légitimité, elle est plutôt balèze.
Loin de moi l’idée de mettre au même niveau la lutte anti-raciste et celle pour la neurodiversité,8 j’ai choisi cet exemple puisqu’il est parlant: oui, c’est un phénomène qui existe, certaines personnes sont capables d’aller très loin pour avoir une place privilégiée au sein d’un mouvement.
Elles arrivent à leur fins, prennent une place importante et ont de l’énergie à revendre d’autant plus qu’elles n’ont pas été “cassée”, “broyée” par le traitement que subissent les véritables concerné.es depuis le début de leur existence.
Elles parviennent même à occuper des postes rémunérés, elles font d’une lutte qui ne leur appartient pas leur gagne-pain et volent la parole qui nous revient. En ce qui concerne le billet de Superpépette, elle savait qui elle visait, la personne s’est bien entendu reconnue a tout de suite réagi en hurlant au communautarisme.
Ben voyons
Ce genre de réaction n’est pas étonnante. Militante féministe du dimanche, je suis bien placée pour savoir à quel point les espaces de mixité choisie comme outils politique provoquent la rage de la classe priviligégiée, habitué qu’ils sont à occuper l’espace visuel, sonore et décisionnaire.9
La plaie eucaristique
Je sais aussi que nous sommes en France, un pays plutôt fan de l’eucharistie catholique à tous les niveaux, ce qui implique que l’on est censé.es vouloir “vivre-ensemble” et se rouler des pelles avec des gens qui nous font chier au quotidien, même sans le vouloir.
Heureusement, d’autres dynamiques sont possibles aussi bien parmi certaines féministes que parmi certain.es autistes (ou les deux). Il faut s’attendre à se genre d’intrusion, de tentative de culpabilisation, de chouineries, voire de remises en question de notre propre légitimité à nous organiser.
Dernier message d’amour
Si j’ai un message à adresser à ces allié.es foireux: les autistes ne sont pas votre psychothérapie au rabais, ni votre caution pour jouer les Mères Teresa. Dégagez de nos espaces, dégagez de nos luttes, dégagez de nos vies: parce que vous avez sûrement l’idéal de l’autiste gentil.le, docile et naïf.ve, mais on vous attend au tournant, le couteau entre les dents.
Il y a un moment où il faut sortir les couteaux. C’est juste un fait. Purement technique. Il est hors de question que l’oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez vous à sa place. Ce n’est pas son chemin. Le lui expliquer est sans utilité. L’oppresseur n’entend pas ce que dit son opprimé comme langage mais comme un bruit. C’est la définition de l’oppression [….]\ L’oppresseur qui fait le louable effort d’écouter (libéral intellectuel) n’entend pas mieux. Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes. C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance, et pour l’opprimé une connotation-souffrance. Ou : divertissement-corvée. Ou loisir-travail. Etc. Aller donc communiquer sur ces bases. C’est ainsi que la générale réaction de l’oppresseur qui a “écouté” son opprimé est, en gros : mais de quoi diable se plaint-il ? Tout ça c’est épatant. Au niveau de l’explication, c’est tout à fait sans espoir. Quand l’opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux. Là on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant. Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible.
Christiane Rocherfort
J’ai changé d’avis, entre temps. Peut-être qu’un jour, je n’aurais pas la flemme d’expliquer en long, en large, et en travers, le pourquoi du comment. ↩︎
C’est mignon de voir que j’ai utilisé ce mot bien avant qu’il ne soit resignifié entièrement à mes yeux. On va dire que mon expérience dans l’Éducation Nationale aura gâché à jamais certains adjectifs tout à fait banals. ↩︎
Qui nous tuent à petit feu. ↩︎
Et allez, on en remet une couche. ↩︎
Si vous voulez tout savoir : Julie parlait d’une personne qui cherchait à percer dans un domaine au sein duquel être reconnue autiste lui donnerait accès à certains espaces, espaces qu’elle cherchait à occuper. Personnellement, je m’en foutais de son neurotype, car pour moi, là n’était pas la question, question que j’ai eu l’occasion d’élaborer davantage dans cet article plus récent. ↩︎
Et on à présent réussi à le monétiser. ↩︎
Et c’est ainsi que le monde se retouve avec Greta Thunberg. Par exemple. ↩︎
surtout que les personnes racisées sont aussi neurodivergents, et que les autistes noirs sont tout spécialement vulnérables aux violences policières et aux agressions, car leur comportement, leur aphasie ou leurs stéréotypie sont jugées menaçantes. ↩︎
Et puis, on menace leur gagne-pain, après tout. ↩︎