Journal Porteño #1

Ce mois-ci, j’ai suivi les conseils qu’on me prodigue depuis des lustres et je suis allée me faire foutre, et pour ce faire j’ai traversé l’Atlantique. Plutôt que d’aller toucher de l’herbe, je me suis dit que j’allais la boire à Buenos Aires, la boisson officielle de l’Argentine étant la yerba mate.

Drames dans l’hémisphère Sud

Je suis donc arrivée vers la fin de l’été, il fait encore tellement chaud que je transpire du sif dès 10h du mat. Dans l’hémisphère Sud, le changement climatique se ressent beaucoup plus. Un restaurateur me disait que les touristes fuient Buenos Aires, car il y fait dorénavant trop chaud, et quand on perd 20 degrés en 24h le pays entier est malade.

Cash is king

La monnaie est tellement fluctuante (plus de 40% d’inflation) que certains commerces doivent changer leurs prix au cours de la journée. Certains n’affichent même plus les prix, il faut scanner un QR code pour les connaître, et ils s’indexent sur ces fluctuations. Le billet le plus gros est celui de 1000 pesos ARS et il ne vaut plus rien, on paie une course en taxi de 15 minutes avec, ou une glace au dulce de leche.

Bien sûr, avec ces problématiques, les entreprises crypto fleurissent ici, les cryptomonnaies étant moins fluctuantes que la monnaie fiduciaire. Des tas de jeunes préfèrent mettre leurs économies en Bitcoin et un tour dans le rayon “Finances” de la librairie de l’Ateneo confirme que c’est un sujet lambda, qui ne provoque guère l’hystérie que l’on connaît en Europe. C’est déjà ce que j’ai essayé d’expliquer à certains de mes collègues, en France, mais je ne suis pas sûre que les gens du Nord captent vraiment les implications vitales de ce sujet. Ou alors, ils s’en foutent. Peu importe.

Quoi qu’il en soit, des commerces acceptent les paiements en crypto directement à Buenos Aires, ils vivent en 2043.

Mood : Économie parallèle

Ma pote, que nous appellerons AdV (pour Acolyte de Voyage), et moi-même avons échangé des euros contre des pesos au taux non officiel, dans une cueva, qui veut dire “grotte” en français, mais se traduit plutôt par “cave”. Ce n’est pas vraiment légal, mais c’est toléré. On peut obtenir un taux de change plus intéressant et c’est ce que font la plupart des Argentins payés en euros ou en dollars.

Ce n’est pas la peine de débarquer la bouche en cœur et de demander autour de vous où vous pouvez trouver une cueva, car vous allez probablement finir par vous faire braquer par un enfant de 10 ans dès que vous l’ouvrirez à ce sujet. Si vous y restez assez longtemps, ou que vous avez déjà des amis sur place, vous finirez probablement par en trouver une.

Comme je connais des gens sur place, j’ai directement plongé dans l’économie parallèle, allez hop, je suis maintenant la reine du pétrole.

Voyager à deux

D’habitude, je voyage seule ou avec ma meuf. Je ne suis pas fan des activités de groupe, de devoir prendre en compte le rythme de quelqu’un d’autre, et j’apprécie la solitude. Là, je suis avec AdV. Et c’est toute une histoire.

AdV et moi sommes amies de longue date. On s’héberge mutuellement, on a déjà passé de courts séjours ensemble, c’est ma go sûre, l’une des meilleures amies dans mon cercle. Mais AdV n’a pas l’habitude de m’avoir dans les pattes sur une longue durée, de s’organiser avec moi, et nous avons des façons d’explorer le monde et de vivre au quotidien assez différentes.

AdV est aussi quelqu’un qui manifeste de façon appuyée un éventail assez large d’émotions. Vous savez que je ne suis pas fan des émotions en général. Je pars du principe que mon prochain doit serrer les dents et ne pas m’importuner avec ses émotions très personnelles. C’est comme ça, c’est la dictature.

Donc AdV et moi ressemblons complètement à cette paire :

Wednesday Addams et Enid, de la série Netflix

AdV souhaite caser un maximum de visites et d’activités en un temps record, alors que je suis une âme de poète contemplative qui peut rester deux heures à écrire dans un café, ou à regarder des canards. Face aux imprévus assez inhérents à n’importe quel voyage, elle manifeste des émotions, tandis que je suis déjà en train de soupeser plusieurs solutions susceptibles de résoudre notre problème du moment. Au moment où elle finit d’émotionner et va commencer à envisager une solution, j’ai déjà trouvé.

Je discute donc de cela avec AdV, d’à quel point il est inutile de se pourrir la vie face aux imprévus, car ils font partie de la vie et du voyage. Mais il me semble que, si j’ai, de mon côté, intégré la probabilité d’évènements aléatoires dans mon algorithme interne, et parviens même à m’amuser à les résoudre comme des énigmes, ce ne soit finalement pas quelque chose de courant.

Ce que je n’arrive pas à intégrer dans mon algorithme interne, cependant, ce sont les réactions émotionnelles d’autrui. Je ne m’y ferai probablement jamais malgré l’insistance de ma psy à accepter les êtres humains dans, justement, toute leur humanité (dégoûtante).

Bénir l’enfant

La raison principale de ma venue est d’assister au baptême de ma filleule, née ici. En tant que marraine, il est mon devoir que de contribuer à ce que l’enfant devienne une princesse pourrie gâtée que rien en ce monde ne pourra arrêter. Et aussi, de la récupérer si quelque chose venait à arriver aux parents, mais on préfère ne pas penser à cette éventualité.

J’ai donc béni l’enfant de mon autisme lors d’une cérémonie un peu païenne appelée le bautismo de agua, qui se tient avant le baptême séculaire à l’Église. Je devais lui donner un peu d’eau bénite avec du sel, pas la meilleure façon d’entamer une relation sereine avec elle, si vous voulez mon avis.

La parentalité moderne

Ce que je trouve bien, avec les gens de mon âge, c’est que la parentalité a l’air d’être un plus dans leurs vies, et pas un changement radical de paradigme. Mes amis sortent boire des bières le soir et manger des glaces avec la petite, comme s’il s’agissait d’un accessoire de mode un peu onéreux. L’enfant intègre leur mode de vie et, même s’il y a évidemment des changements, ils ne se privent pas de socialiser et de continuer à vivre comme ils aiment le faire parce qu’elle a eu l’idée de naître.

Bien sûr, il y a des priorités qui changent. Certains sujets n’ont pas la même importance qu’avant. C’est assez fascinant de voir ses amis évoluer, fonder leur famille, te parler des nouveaux sujets qui les préoccupent, et les voir devenir des gros darons à leur façon. Je trouve ça drôle.

Il est vrai que dans la culture hispanique on est moins axés sur la famille nucléaire à tout prix, que la question du village nécessaire à l’éducation de sa progéniture est assimilée depuis toujours. Les parents sont moins seuls, même si, à mon goût, l’ingérence d’autrui peut être pesante et je ne sais pas si je suis très fan.

La suite du voyage

D’ici quelques jours, nous nous rendrons dans la Tierra del Fuego avec AdV, mais pour le moment, on chill à Buenos Aires. AdV est partie gambader partout après que je lui ai dit que j’en avais ma claque de socialiser et voulais rester seule. Je ne sais pas si ce journal de bord aura une deuxième partie, peut-être que je n’aurai rien d’intéressant à raconter, ou pas le temps.

Pour l’instant, c’est la fin de cette première et peut-être unique partie, voilà, démerdez-vous avec cette conclusion brutale, bisous bisous.