Traité Pété De La Casse-Couillerie Genrée

Je suis de retour à Buenos Aires, sur mes deux pattes (finalement). Là, je bois un Chai Latte au café du Musée d’Art Moderne, comme la parfaite hipster que je suis, tandis que je réfléchis à des choses de la vie. 

De la casse-couillerie

Une pensée me taraude, depuis hier soir. Cette pensée tourne autour de la casse-couillerie attribuée aux femmes. Alors je me suis dit que je la plaquerais ici.

Une soirée banale

J’étais en train de dîner au Green Bambú avec le père de ma filleule, et on se racontait nos vies, comme l’on fait entre amis avec qui on n’a pas eu l’occasion de traîner depuis longtemps. AdV était partie avec une connaissance sommelière à un restaurant spécialisé dans les vins, et j’avais décliné l’invitation sachant pertinemment que passer la soirée à écouter des gens parler de vin était, en toute franchise, au-dessus de mes forces.

Dans un souci d’anonymat, nous appellerons le père de ma filleule Big Daddy, car il est grand et vient d’être père, ainsi que pour troller les gens qui se retrouveront sur ce blog alors qu’ils cherchaient tout autre chose. Donc on discute, Big Daddy et moi, et on se raconte les looses sentimentales du passé dont on ne se parlait pas à distance, car il faut bien admettre que ces conversations sont bien plus drôles IRL devant un cocktail (pour ma part) et un Fernet1 (pour sa part).

Je lui raconte mes pires vacances, avec une ex que j’ai fini par ghoster sans état d’âme, en ces termes : “Elle râlait tout le temps, se plaignait de tout, me parlait comme à un chien alors que je gérais des trucs qu’elle gérait mal, et quand je lui ai dit de me parler autrement, elle a boudé agressivement”. Là, Big Daddy sourit d’un air entendu, comme un taulard de longue durée qui va t’apprendre les lois de la prison dans laquelle toi, jeune délinquant fraîchement débarqué, vas purger ta peine et faire tes armes, et me dit : “Mais Julia, tu décris la vie avec une femme”.

La vie avec une femme ?

Je suis restée coite. Ma meuf, en tout cas, n’est pas comme ça. Je quitte les gens casse-couilles, parfois sans même prendre la peine de les prévenir. Fallait pas jouer à la conne. Ma tolérance à la chienlit est extrêmement basse, pour qui que ce soit. La phrase que je sortais le plus à mes collégiens, quand ils commençaient à faire du chouin-chouin, était “A mi clase se viene llorado”.2 Je le dis à Big Daddy, qui répond : “OK, mais c’est très rare. Ce que tu racontes de tes vacances pourries, c’est simplement la vie normale avec une femme pour la plupart des gens”.

Alors là.

J’ai commencé à réfléchir à ce qu’il disait. Il est vrai que je connais, à ma petite échelle, plus de femmes casse-couilles que de femmes pas casse-couilles. Quand je dis casse-couilles, je pense que vous comprenez. Je parle de gens qui chouinent sans prendre aucune responsabilité, qui se plaignent beaucoup et exigent des choses de vous non-stop, mais surtout, exigent que vous soyez leur réceptacle à névroses.

Je ne sais pas si j’entre moi-même dans cette catégorie. Probablement pas, car j’ai l’art de me casser quand quelque chose n’est pas à mon goût, sans rien dire à personne, sans prévenir. Je pense que je suis pire que les femmes lambda dont parlait Big Daddy, car avec moi c’est vicieux, je ne me plains pas, je n’essaie pas de te forcer à faire quoi que ce soit, je disparais simplement du jour au lendemain si tu m’as soulée une fois de trop, aussi bien en amour qu’en amitié. Je ne suis pas comme les autres filles, MOI : je suis pire.

Et la vie avec un homme ?

Je me suis demandé si la casse-couillerie était un phénomène genré, ou plutôt sociétal, à savoir que l’on se retrouverait avec une population grandissante de gens qui chouinent et râlent sans prendre aucune responsabilité dans leurs sphères intimes et domestiques.

Mais il semblerait que les hommes, eux, aient été éduqués à tout intérioriser et à ne surtout rien manifester quand ils sont en détresse ou vulnérables. C’est un peu dommage, surtout que quand ils explosent (on a tous nos limites), personne n’y comprend rien.

Et la vie lesbienne ?

En discutant avec Big Daddy, je suis arrivée à une conclusion étrange : ce n’est pas que j’aime “les femmes”, ou que j’aime “les hommes”, ou que j’aime “les deux et plus si affinité”. En fait, j’aime ma copine, c’est tout. 

En général, je trouve les femmes belles, séduisantes, je trouve les hommes drôles et… euh, voilà, c’est tout. Mais les émotions que j’ai le plus ressenti à leur contact est de cet ordre : avec les femmes que j’ai pu côtoyer, j’ai plus souvent été agacée par le fait qu’elles étaient de monumentales casse-couilles, comme si elles avaient été socialisées pour devenir exactement cela. Lesbiennes, bi ou hétéros, sans exception, mais mention spéciale de la casse-couillerie aux lesbiennes politiques.

Il s’avère que les seules personnes à qui je me suis réellement attachée, avec qui je suis capable de me projeter dans une vie commune, et auprès desquelles je suis prête à faire des concessions pour préserver et renforcer notre relation amoureuse, étaient des femmes, donc oui, je suppose qu’on peut me qualifier de lesbienne. Mais pas parce que j’aime “les femmes”, comme ça, abstraitement. C’est même le contraire, car quand Big Daddy m’a sorti sa fameuse phrase, j’ai pensé “Putain le con, il a raison”, prouvant une certaine dose de misogynie bien intériorisée, quand même.

Il est donc cocasse quand des bécasses hétéros blaguent sur le fait que je veux probablement les péchos, car non, je n’aime pas “les femmes” et encore moins elles.

Pourquoi s’infliger cela

Parmi toutes ces élucubrations au beau milieu de Buenos Aires, je me demande : pourquoi s’infliger la compagnie de gens casse-couilles, homme ou femme ? Pourquoi est-ce si communément admis chez les hommes hétérosexuels que oui, les femmes sont chiantes et qu’il faut se les coltiner ? Qu’est-ce qui les empêche de se barrer, comme je l’ai fait avec cette ex ? Après tout, il existe plein d’autres femmes sur Terre, qui ne sera pas aussi casse-couilles que la mégère qu’ils se sont ponctuellement dégotée ?

J’ai plusieurs hypothèses. La première est que le travail domestique et sexuel qu’ils obtiennent gratuitement au sein du couple hétérosexuel compense la casse-couillerie. Si on faisait un devis avec les estimations que ces services leur coûteraient en dehors du couple, on se rend compte que c’est un petit sacrifice peu onéreux, finalement. La deuxième est que quand les hommes sont prêts à fonder une famille, etc., ils prennent vraiment la première meuf pas trop moche qui sera partante pour le faire avec eux. Donc oups, pas de bol, elle est casse-couille, en fait, mais le processus est déjà enclenché, donc show must go on. La troisième est qu’ils sont masochistes : ils adorent le rôle du bonhomme accablé par sa légitime, blaguent à ce sujet avec les copains, ce phénomène leur permettant d’apparaître comme la partie rationnelle et cool de leur couple tandis que madame gueule.

Toutes des casse-couilles

Ces élucubrations ne m’auront probablement menée à rien, mais je suis à Buenos Aires et c’est tout même le sport national que de se palucher intellectuellement philosopher sur de grandes questions absolument pas originales.

Ce que j’en conclus, c’est que la casse-couillerie semble être prédominante chez la gent féminine, mais parce que la casse-couillerie est la manifestation de l’impuissance, une impuissance apprise. Aussi, qu’il est tout de même possible d’aimer les gens casse-couilles. Beaucoup de femmes de mon entourage le sont, mais je ne suis pas en couple avec elles, Dieu merci. Pour sortir de ce schéma, il faudrait désapprendre l’impuissance, et peut-être que nous aurions des rapports plus sereins entre nous.

Tout un programme.


  1. Je ne sais pas comment font les Argentins pour boire cette merde. ↩︎

  2. “À mon cours, on vient en ayant déjà pleuré”, une façon de dire aux gens que ce n’est ni l’endroit ni le moment et que tu t’en bas les couilles. ↩︎