De L'ennui Pathologique Des Cours D'art

Je ne sais pas quel est mon problème avec les environnements artistiques ; plus spécifiquement, les environnements de l’apprentissage artistique. En tout cas, cela n’a jamais marché.

Je suis sur le point d’abandonner un énième cours d’art, probablement ma dernière tentative en la matière. Pas par manque de temps, ni par manque de volonté, mais pour une raison toute simple : je me fais chier.

Récit d’un drame intime (again).

L’initiation

Comme tous les enfants, j’aimais dessiner. L’un de mes oncles étant peintre amateur, il m’a initiée très tôt au dessin et à la peinture, s’évertuant à me transmettre de bonnes habitudes (tandis que ma tante lui criait “Mais laisse la gamine tranquille !” depuis la cuisine en essuyant la vaisselle). Mais j’étais bonne élève et j’aimais apprendre à faire les choses dans les règles de l’art.

Mes parents ont eu la bonne idée de m’inscrire à des cours d’initiation à l’art dispensés dans l’atelier d’une dame vivant dans une grande maison entourée d’arbres en Normandie, auxquels ma mère m’emmenait les mercredis après-midi. Les cours mêlaient des activités autour de la musique classique et le dessin. Si je n’en garde pas un souvenir impérissable, l’ambiance était sereine et plaisante.

Ensuite, nous avons déménagé (comme d’hab) et c’en était fini des cours d’art. Exactement comme les cours d’initiation au piano avant notre déménagement précédent. Parfois, je me dis que si je suis touche-à-tout dans divers domaines sans jamais exceller dans aucun d’entre eux, c’est peut-être pour ça : les activités que j’aimais n’étaient pas forcément disponibles dans notre nouveau lieu d’habitation. Je ne me décourageais pas, je m’initiais à autre chose, et hop, redéménagement.

Initiée, on peut dire que je l’ai été des tas de fois, ça oui.

L’abandon volontaire

Le problème des activités extrascolaires, quand on atteint l’âge d’aller à l’école primaire, ce sont les autres enfants. Quelques écoles où je suis allée proposaient des activités artistiques l’après-midi (libre en Espagne pour les écoliers), et je me suis systématiquement ruée dessus, avide d’apprendre une nouvelle pratique, pour les quitter aussi vite. Quand des enfants me harcelant déjà ne s’y trouvaient pas, c’était ceux qui ne me connaissaient pas qui s’y mettaient et ma vie à l’école devenait un enfer. J’étais un garçon manqué et autiste, les astres étaient dramatiquement alignés en ma défaveur.

Je voulais simplement apprendre de nouvelles techniques, faire de nouvelles activités artistiques et ensuite montrer mes jolis dessins à ma maman. Rien de très original. Il y eut un cours auquel je me suis un peu accrochée, car on utilisait l’encre de Chine, et j’adorais l’encre de Chine. Après avoir abandonné ce cours, j’ai continué à l’utiliser en tachant absolument tout notre appartement lors de mes expérimentations artistiques. Ma mère a beaucoup crié, pendant ma période encre de Chine (le lot de tout artiste incompris). Mais je suis à peu près sûre qu’elle a crié davantage pendant ma période distillation artisanale d’alcool, peu de temps après, mais peut-être moins que pendant ma période poterie.

L’hostilité de l’Art Plastique

J’ai fini par me résigner à apprendre ce qui m’intéressait seule, le plus loin possible des autres enfants. J’ai très vite progressé et mon talent de dessinatrice a contribué ensuite à m’apporter une petite street cred au collège. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, n’est-ce pas.

Par la suite, je suis allée au Lycée Français, avec des cours d’Art Plastique qui me ravirent. Les jours où nous avions Art Plastique, je les attendais avec impatience. Notre professeur était un vrai passionné et un excellent pédagogue. Même si par ma maladresse je foutais de la gouache absolument partout, je m’éclatais. Mais un détail vint progressivement éteindre mon enthousiasme : les autres élèves.

Je ne possédais pas le même matériel haut de gamme que mes camarades. Au début, je n’y avais même pas prêté attention. C’est un groupe de petites pétasses qui, systématiquement, année scolaire après année scolaire, me le faisait remarquer. Ouvrir ma mallette sur les tables hautes devint une corvée. Mais la qualité du matériel et les ressources ne font pas tout : les Russes ont réussi à produire des ballets intemporels alors que leurs danseurs n’avaient même plus de murs assez solides pour y fixer une barre.

Les remarques sur la pauvreté de tout mon attirail fusaient d’autant plus que le professeur mettait en valeur ce que j’arrivais à produire avec mon matériel hard discount.

À ce stade, j’avais vite fini d’assimiler la pratique de l’art à un environnement hostile.

Une avant-dernière chance

Vers mes 16 ans, je gagnais mon propre argent et l’envie de m’initier à l’aquarelle me prit comme une envie de pisser. Je décidai de donner au cours d’art une autre chance et me rendis à mon premier cours dans l’atelier d’un artiste.

Et je le detestai immédiatement. Non seulement il passa l’heure à bla-bla-ter sans intérêt, mais me fit savoir que le style “manga” de mon trait était à jeter, sans proposer de piste d’améliorations. Ce fut le seul et unique cours que je suivis avec lui.

Vingt ans plus tard, je commettais la même erreur de redonner une chance à ces maudites activités artistiques encadrées.

La résignation

J’évite de donner des détails sur les lieux et les personnes, depuis que ma gueule (et celle de mes chats) a été placardée sur la devanture de la Fnac de ma ville. Je n’ai pas envie que les gens se reconnaissent et se sentent blessés. Donc, comme à mon habitude, je vous décris le schéma.

Je m’inscris à un cours d’art prometteur, et surprise : je ne me fais plus harceler. Mais on se fait chier. Le prof parle. Longtemps. Beaucoup trop longtemps. De façon incompréhensible, mes camarades boivent ses paroles, alors que ce qu’il raconte est objectivement inintéressant. Je ne comprends pas la moitié des interactions entre ces gens. C’est du français, je comprends techniquement chaque mot, mais pas l’ensemble, je ne comprends pas ce qu’ils se disent, et cela me ramène beaucoup trop à la vie dont cette bulle artistique était censée me permettre de faire abstraction. Quel échec.

Parfois, le prof m’approche, en tête-à-tête, mais me parle de sa vie au lieu de me parler de ce qui nous occupe, à savoir, l’exercice en question. Il divague, s’égare, monologue, et je suis là, polie, à attendre que cela passe pour me remettre au travail. Je ne comprends pas pourquoi il me raconte ce qu’il raconte ni où il veut en venir. Je me demande ce que je fous là, et je soupçonne que lui aussi.

Tout ce rant pour dire : j’ai encore lâché un cours d’art avant d’avoir complété le trimestre, et ce sera probablement le dernier.