Complainte De L'escargot
Parmi mon entourage, mais surtout dans ma famille, c’est presque un running gag : Julia est impatiente, déteste attendre pour quoi que ce soit et n’hésite pas à le faire savoir. Quand Julia veut quelque chose, c’est tout de suite.
C’est plutôt vrai. L’impatience est considérée comme un défaut, et d’un point de vue extérieur, cela peut avoir l’air d’une manifestation superficielle de l’impatience. Mais nous savons, vous et moi, que les neurotypiques n’y comprennent rien aux réactions des autistes. Donc, soit, je suis impatiente aux yeux du tout-venant. Sous le capot, ce n’est pas de l’impatience que je ressens, mais un manque de respect envers ma vénérable personne. Une vision liée à un rapport au temps qui peut être considéré comme atypique.
Une lenteur exaspérante
Cet agacement face à l’attente n’est que la pointe de l’iceberg, une manifestation visible de ce que j’éprouve réellement face à ce que je considère être une lenteur injustifiée. La plupart du temps, j’ai réussi à masquer mon exaspération, à faire semblant d’être un individu tout à fait équilibré, en gardant une expression neutre (je crois). Avec les années, cependant, soit mes capacités à masquer ont diminué, soit les gens sont devenus chroniquement négligents avec le temps d’autrui, soit je deviens une vieille aigrie qui fronce les sourcils dès qu’un truc ne va pas dans son sens. Pour les deux premières hypothèses, on n’y peut rien. Pour la dernière, le Botox règlera l’affaire. Dans tous les cas, mon rapport au temps a toujours été paradoxal.
Ma propre lenteur m’exaspère moi-même : quand je mets trois plombes à me préparer avant de sortir, alors même que je suis déjà habillée ; quand passer l’aspirateur dans un appartement pourtant petit me prend une heure complète. Quand apprendre un pas de danse classique un peu compliqué me prend le triple de temps que le reste de la classe, et même après l’avoir enfin maîtrisé, je partirai probablement à gauche alors que tout le groupe part à droite, sous les cris d’orfraies de ma prof qui s’écriera “JULIAAAAAA”.
Je comprends la dyspraxie, mais je ne l’accepte toujours pas. Je lutte contre elle, je m’efforce de gagner en rapidité sur des tâches à la con comme cuisiner ou s’habiller, mais je ne peux que constater mes échecs à travers l’écoulement inexorable des minutes sur ma montre connectée. Avant d’être exaspérée par les autres, je suis avant tout exaspérée par moi-même. Pourquoi cet acharnement, me direz-vous ? C’est que je déteste allouer mon temps à des tâches inintéressantes, je veux aller vite, être efficace, pour une raison simple : j’ai besoin de ce temps pour faire autre chose de bien plus sympa.
Le temps comme ressource
Réussir à coup de grands efforts à être plus efficace, et me retrouver face à quelqu’un qui ne montre aucune considération envers mon temps, qui ne le respecte aucunement, qui n’y pense même pas, cela me rend furieuse. À mes yeux, ils me volent le temps que j’ai si durement réussi à gagner. Quelque part, je considère que s’ils traitent si légèrement le temps qui passe, c’est parce que :
- Ils n’en ont rien à foutre de ce qui est précieux à mes yeux, ou
- Ce sont des barbares à demi-évolués qui n’ont pas compris l’immense valeur de cette ressource
Il me semblerait moins grave que l’on me vole de l’argent plutôt que l’on me vole du temps. L’argent, ça se récupère, ça s’imprime, ça se re-gagne. Le temps, ça ne se rattrape pas. Et tout ce temps que j’ai alloué à mon propre dressage pour gagner en efficacité, je veux en récolter les fruits. Il n’y a aucun monde, aucune réalité, aucune dystopie où je le distribue gratuitement pour compenser l’incompétence d’autrui en la matière.
Chacun sa merde, et Dieu pour tous <3