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Eat Her

Il y a quelques jours, j’ai entendu une femme prononcer une phrase que je croyais définitivement enterrée dans les limbes du cringe du début des années 2000 : “J’adorerais être lesbienne, mais c’est impossible : j’aime trop la bite”. Dans le même temps, à L.A., Kristen Stewart préparait la une de Rolling Stone en jock strap, la main dans le slip, proclamant qu’elle voulait réaliser “le truc le plus gay jamais fait” en se laissant, entre autres, pousser une moustache et un happy trail.

“Nous y voilà”, me suis-je dit, en contemplant Kristen plus gay que jamais sur mon écran d’iPad, “l’époque où ces deux phénomènes co-existent et s’entremêlent dans la même dimension”.

Madame J’aime-La-Bite et Kristen Stewart ont plus en commun qu’on pourrait le penser.

Qu’est-ce que le gay

Comme on n’est pas à un séminaire d’Études de Genre, je ne vais pas vous asséner avec une bibliographie autour de la question gay. Ce qui m’intéresse, c’est la conception du gay d’après Kristen et selon Madame J’aime-La-Bite, respectivement.

Gay is wet

Dans Saltburn d’Emmerald Fennel, la nonchalante Lady Elspeth jouée par Rosamund Pike, alanguie dans l’un des nombreux parcs luxuriants de sa propriété, fait au jeune Oliver la révélation suivante : “I was a lesbian once, but it was too wet ; men are charming and dry”. Puis, elle sirote son verre.

Pour Kristen, pas de too wet qui tienne. Elle enchaîne les pompes et les entraînements de kickboxing, puis pose pour des photos où elle apparaîtra luisante (de sueur ?), le cheveu gras/humide face caméra. Elle illustre le plot de son prochain film par la figure d’un body-builder qui “secoue la cannette de Coca, mais elle explose, et tout le monde est éclaboussé et c’est le bordel”, pour déboucher sur une narration que la journaliste décrit comme “sanglante, transpirante, complètement dominée par le Ça”.

Bien sûr, le commun des mortels pensera à la cyprine en entendant les propos de Lady Elspeth. La réalité, c’est qu’être lesbienne/gay ne se résume pas aux rapports sexuels ni aux organes génitaux. Love is love, blablabla, vous connaissez la chanson. Mais Kristen et Madame J’aime-la-Bite s’en fichent, respectivement.

Gay is la bite

Aucune des deux ne vous parle de leurs petits cœurs ni de leurs petites émotions : elles vous parlent de désir, de corps, de pouvoir, de plaisir. Kristen ne parle pas de PMA, de la rénovation de la cuisine qui prend plus de temps que prévu, mais de son désir de prendre la place de sex symbol qui revenait à ses co-stars dans Twilight, parce qu’ils étaient des hommes, et des hommes grands et musclés, tandis que le cinéma aurait bien voulu lui forcer dans la gorge le rôle d’American sweetheart auquel elle a lamentablement échoué. Aujourd’hui, elle débarque sur ton plateau, crache par terre, remonte ses manches pour montrer ses gros biceps et entre en lice pour le concours de quéquette qu’on lui a injustement refusé des années plus tôt.

Madame J’aime-La-Bite, dans toute sa niaiserie apparente, ne parle pas que d’un organe génital. La masculinité est signifiée à travers cet organe précisément, elle s’en fiche qu’il existe, effectivement, des femmes en possession d’un pénis, elle ne part pas à la conquête de la féminité : elle veut du muscle, du poil, et elle veut prendre le pouvoir sur ce corps dominant par le biais de son maillon faible : la bite. Ce n’est probablement pas ce que cette bite peut lui faire qui l’intéresse plus que les réactions qu’elle est capable de provoquer chez un grand gaillard en se saisissant de sa baguette magique. Et cela est, en quelque sorte, archigay également (non, je ne développerai pas). Kristen aussi aime la bite : la sienne, surtout.

De la joliesse au concours de quéquette

L’interview de Kristen Stewart dans Rolling Stone est d’un ennui à mourir. C’est l’équivalent de ta pote avec un TDAH qui travaille vaguement en tant que mannequin et qui passe le reste du temps à écrire un gender fuck queer manifesto dans le Van qu’elle a garé dans l’arrière-cour d’une taromancienne lesbienne de 70 ans sur la côte et avec qui elle boit du kéfir les soirs de pleine lune. Ou un truc dans le genre.

Mais j’aime bien Kristen, et le fait qu’elle se jette sur les codes de la masculinité gay pour faire paniquer tout le monde me fait l’aimer encore plus. Je l’ai aimée dès qu’elle a trompé son mec Robert Pattinson avec le directeur de son nouveau film, ce qui a rendu furax Donald Trump. Je l’ai aimée dans l’adaptation de Sur la route, qui contient dans son interprétation les prémices de ce qu’elle s’apprête à devenir.

J’aime aussi voir les commentaires désolés sous ses photos : “Elle était si jolie, que lui est-il arrivé ?”, qui pullulaient également sous les photos d’Adèle Haenel sur les piquets de grève. C’est le meilleur compliment qu’une femme puisse recevoir. Enfin libérée du marché de la bonne meuf. Parce qu’être considérée jolie par des hommes inconnus est une putain de plaie, alors qu’être repoussante et les voir paniquer face au manque de volonté de se rendre désirable procure un sentiment de jouissance inégalé.

Mais Kristen semble avoir la ferme intention de se rendre désirable en usant des codes les plus éloignés possibles de la respectabilité. Même si ce n’est pas très original, elle risque tout de même de faire mouiller vos femmes, vos sœurs, mais aussi vos maris et vos petits frères dans le placard, si vous n’y prenez pas garde. Elle risque de faire douter de sa sexualité plus d’un notable de province qui tomberait malencontreusement sur l’une de ses unes de couverture en achetant son exemplaire du Wall Street Journal , comme ça, sur un malentendu. En se contentant d’être niaise et musclée, comme n’importe quel himbo de bas étage.

Et uniquement pour cela, pour son projet de semer la panique morale aussi bien chez les hétéros que chez les gays et les lesbiennes respectables, je la soutiendrai sans réserve.

Kristen Stewart