La Parole Des Enfants

Je fais une pause dans ma saga sur le stalking pour parler d’un des sujets qui m’a tenu et me tient toujours à coeur.

Je suis au téléphone avec un ami qui revient d’un séjour de colo, en tant que directeur. Il me lit, dépité, les retours que les parents ont envoyés par mail, à peine 24h après la fin du séjour, sans que leur avis n’ait été sollicité, par ailleurs.

À les lire, on croirait que ce sont eux, parents, qui ont vécu le séjour, et non leur engeance qu’ils ont volontairement envoyée découvrir la vie sous une autre forme, en colonie de vacances.

Un pedigree vreumant

Le sujet de la parole et de l’enfance m’intéresse, forcément. Avant de devenir professeure, j’assistais à des ateliers avec des enseignants Freinet, j’ai lu le sacro-saint Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent de Faber et Mazlish, et me suis longuement éduquée sur la psychologie et le développement des enfants et des adolescents. C’est normal : j’ai toujours travaillé avec eux et je suis autiste, donc je fais les choses bien. Je ne suis donc pas la plus ignare en la matière, pas la plus éduquée non plus.

Contrairement à ce que les réacs peuvent bien pérorer, la parole des enfants n’est pas sacralisée. Les enfants ne sont pas plus écoutés aujourd’hui qu’hier. Comme nous, autistes, ils s’expriment, mais ils ne sont ni entendus, ni rééllement compris, de par l’ignorance et l’ego trop délicat du récepteur adulte.

Quand un enfant parle

De mon temps - je suis une vieille dame respectable de 34 ans maintenant - quand un enfant parlait, soit on l’ignorait, soit on lui disait de la fermer si le moment n’était pas opportun, soit on s’amusait de ses propos à la limite de la cohérence.

C’était très frustrant et je m’en souviens beaucoup trop bien.

En 2023, quand un enfant parle, il ou elle sait qu’une réaction va s’ensuivre. Voilà quelques exemples, tirés de ma propre expérience dans l’animation et l’enseignement :

  1. Votre enfant rentre d’une colonie de vacances et vous dit que la nourriture était infecte, que c’était nul, et qu’il s’est ennuyé. Pourtant, l’équipe d’animateurs l’a vu faire les quatre cents coups avec des copains, s’amuser comme un fou et redemander du rab au déjeuner.
  2. Votre enfant rentre d’une colonie de vacances, vous dit qu’il a passé les meilleures vacances de sa vie. Pourtant, il les a passées enfermé dans les toilettes à lire des BD et a refusé toutes les sollicitations des animateurs.
  3. Votre enfant rentre du collège et vous dit qu’il s’est fait exclure de cours parce que la prof a une dent contre lui et qu’il n’a rien fait. Sur le logiciel qui vous sert à pister sa scolarité, pourtant, vous ne constatez aucun rapport d’exclusion.
  4. Votre enfant rentre du collège déprimé, et vous dit que la prof va le saquer car il faut rendre les devoirs à travers l’intranet. Vous vivez dans une zone blanche et il risque le zéro.

Dans les situations que j’ai énumérées, il manque dans chacune d’entre elles une partie du discours. Ce qui, de mon temps, était balayé d’un revers de main ou d’un “Toujours un prétexte pour râler”, suscite aujourd’hui une émotion parentale vive et dramatique.

Quand les parents n’écoutent pas

Le parent moderne reçoit les propos 1, 3 et 4 et réagit. Tout de suite, et sous le coup de l’émotion. Il téléphone, envoie des mails salés, remue ciel et terre pour que justice soit faite. Parfois, il se retrouve comme un idiot face à la fameuse professeure qui lui explique qu’elle a demandé à votre enfant de sortir 5 minutes pour prendre l’air, car il n’était visiblement pas concentré et dérangeait le cours, puis en profite pour vous faire la liste de tous les comportements limites de votre enfant envers ses camarades. Lui qui en venait pour en découdre, se retrouve à s’engueuler avec son enfant devant une professeur gênée et perplexe.

Ou bien, que le rendu par l’intranet est optionnel, comme elle l’a précisé à la réunion parent-professeurs à la rentrée, pour allonger les délais de rendus. Qu’elle réserve la salle informatique et apprend à votre enfant à se servir d’un ordinateur, à gérer ses identifiants, à produire et à envoyer des fichiers par internet, par ailleurs. Oups ?

Parfois, après avoir fait un scandale auprès de l’organisme de colonie de vacances, vous entendez de la bouche d’un enfant d’amis à quel point ce dernier et votre progéniture se sont amusés, et toutes les activités chouettes qu’ils ont faites. Ah, c’est ballot.

Le verdict est formel : votre enfant vous a ranconté de la merde.

Pourquoi les enfants racontent-ils de la merde ?

Plot twist, les enfants utilisent des mots parfois extrêmes et font des raccourcis un tantinet faciles. C’est normal, leur expression est celle d’un enfant ou d’un adolescent, pas celle d’un adulte. Ils n’ont, pour la plupart, pas encore la capacité de se projeter dans le temps, ce qui a pour conséquence de leur faire ressentir les émotions comme si elles n’allaient jamais les quitter. Parfois, ils s’expriment en ayant exactement ce sentiment, avec le désespoir qui va avec.

Vous, en revanche, face à un enfant qui s’exprime, n’avez pas d’excuse. Votre cerveau a terminé son développement (quoi que) et vous avez, à cet instant T, la responsabilité de l’enfant qui vous parle, là, tout de suite.

Que faire ? Ne pas les croire ? Non. Il existe un concept novateur appelé : la conversation. Savez-vous que l’on peut converser avec les enfants et les adolescents, comme on le fait avec les adultes ?

La parole de votre enfant déclenche un réflexe émotionnel primitif en vous, ressaisissez-vous. Posez les bonnes questions. Enterrez votre angoisse parentale qui n’intéresse personne. Et écoutez, non de Dieu.

La dure tâche de prendre sur soi

Si vous saviez les récits scandaleux et utlra-inquiétants que des enfants m’ont sortis. Je vous jure que, parfois, j’ai frôlé la crise cardiaque, alors que ce ne sont même pas les miens. Je n’imagine même pas si cela avait été le cas.

Mais on prend sur soi, et on pose les bonnes questions. Il n’y a pas d’autres choix. Que s’est-il passé avant ? La nourriture était infecte, d’accord, qu’est-ce qu’il y avait, exactement ? L’interrogatoire, eh oui, il n’y a que ça de vrai.

Ensuite, vous allez demander des comptes aux personnes à qui vous déleguez la responsabilité du bien-être affectif et physique de votre enfant. Parce que, spoiler, il y a aussi de grandes chances que votre enfant cherche à vous rassurer, VOUS, quand il vous raconte à quel point en votre absence, on lui a rendu la vie impossible.

Ce que les enfants disent

J’ai découvert en lisant Le drame de l’enfant doué d’Alice Miller, que je n’avais pas été moi-même une enfant très douée. Alice Miller ne parle pas de Haut Potentiel Intellectuel. Elle parle de la propension qu’ont les parents à déverser leurs névroses sur leurs enfants et à celles des enfants d’essayer de venir les combler (en vain), puis d’évacuer leurs névroses en se déchargeant sur leurs propres enfants une fois devenus parents. Et puis, de fil en aiguille, on en arrive au fascisme (je sais plus trop, cela fait un moment que je l’ai lu).

Votre pire cauchemar

Il existe la possibilité que votre enfant soit en train de vous raconter de la merde car il essaie de compenser votre propre angoisse de séparation. Il aimerait bien, lui, pouvoir profiter pleinement de la vie loin de vous, avec ses copains, mais il craint de vous faire de la peine en vous montrant son attachement à d’autres gens que vous, notamment d’autres adultes. Peut-être même des adultes que vous désapprouveriez si vous les connaissiez.

Voilà, vous avez lu votre pire cauchemar : vous êtes en train de faire de la merde en tant que parent. Booooouuuh. Bon, en réalité, ce n’est pas si grave. C’est plutôt le rôle des adultes que de prendre sur soi, pas aux enfants, mais si vous avez un enfant non-autiste, mes amis, bon courage.

Si vous avez un enfant autiste, soyez tranquille : il s’en bat les couilles, de votre angoisse parentale. Allez hop, c’est dit.

La lumière au bout du tunnel

L’autre possibilité, c’est que votre enfant ne se sente pas assez en sécurité pour s’exprimer, et qu’il se lâche en votre présence et vous raconte toutes les choses qui l’angoissent, tout ce qu’il a mal vécu. Cela veut dire qu’il vous fait confiance, pas qu’il a une vie de merde. Si vous courez faire un scandale à l’extérieur, avant de l’avoir écouté et rassuré, vous perdrez cette confiance. Tout ce qu’il va retenir, c’est qu’il faut éviter de vous raconter ses tracas, car vous allez en faire tout un plat, au lieu d’agir en adulte responsable que vous êtes censés être, et auprès de qu’il est venu se confier.

Le mot de la fin

Mon propos est simple : écoutez les enfants qui daignent vous parler, même si vous ne comprenez pas tout. Vous n’avez pas idée d’à quel point l’expression est compliquée à certains âges, parce que vous avez probablement oublié. N’utilisez pas les enfants comme déversoir à angoisses existentielles, n’utilisez pas leur parole comme prétexte à régler des injustices subies qui vous appartiennent à vous, pas à eux.

Les enfants, comme les autistes, parlent une langue qui ne vous est pas familière. Apprenez-la.