Mon Premier Stalker
Mon premier stalker n’a probablement pas été le tout premier. Plus jeune, j’étais probablement trop à l’Ouest pour me rendre compte des agissements inquiétants de certains individus avec lesquels nous devons composer, en qualité d’animaux sociaux.
Aujourd’hui, je reviens sur ce phénomène et sur mon expérience de ce qui intrigue et fascine, au point d’avoir fait exploser les audiences de la dernière série phare à son sujet : le stalking.
Typologie du stalker
J’ai grandi avant l’heure de gloire des relations parasociales qui font notre bonheur sur l’internet moderne, et maintiennent fiancièrement à flot nos chers influenceurs. Je suis une enfant des années 90 et une ado des années 2000 (autrement dit : la crème de la crème). Mais le stalking, ou la traque furtive, n’a ni âge, ni époque.
Ce terme désignant l’approche furtive du gibier par les chasseurs a evolué pour prendre une autre signification : la persécution et le harcèlement névrotique de quelqu’un de façon répétée et sur une longue période. Si on en croit les études réalisées1, la plupart des stalkers (80%) sont des hommes qui tentent de forcer l’intimité avec leur victime, tandis que la proportion des femmes parmi les stalkers est plus à même de traquer et persécuter d’autres femmes dans leurs cercles professionnels.
En ce qui me concerne, j’ai eu affaire aux deux cas de figures.
Mon “premier” stalker
Mon premier stalker était un camarade du lycée, alors que j’étais en première. Il était en filière S, moi en filière ES, on ne s’était jamais parlés. Nous avons sympathisé lors d’une sortie de classe à laquelle mon professeur principal m’avait obligée à participer, au lieu de me laisser sécher comme à mon habitude. Grand mal lui en pris. Je suis allée à cette sortie, ai discuté de psychanalyse et de Freud avec un nerd, et bim : me voilà affublée d’un prétendant névrotique.
Dès cette sortie, il a commencé à me faire parvenir des lettres où il me déclarait sa flamme et me citait des extraits de chansons d’amour. Il les donnait à mes camarades de classe, car sur les temps de pause au lycée, j’ai toujours été introuvable : j’étais généralement seule dans la bibliothèque ou en train de squatter le bureau de mon prof d’Histoire-Géo homosexuel, qui me laissait utiliser l’ordinateur et me donnait des biscuits au citron cuisinés par sa mère (c’était un vieux garçon dans les règles de l’art et, bien évidemment, je l’adorais). Au moment de la sortie des classes, j’attendais que tous mes camarades eussent quitté le lycée, puis je sortais dans les couloirs déserts, récupérais mon vélo et partais, le cheveux gras au vent.
Tout cela n’était pas planifié en fonction de lui : c’était mon fonctionnement habituel et solitaire. Mais aux yeux de ce garçon, j’étais troublée par notre rencontre (parfaitement banale et agréable au demeurant) et l’évitais en conséquence. Et cela l’a… émoustillé ? Comment m’en-suis-je rendu compte ? C’était assez explicite dans ses lettres. Que j’ai donc refusé de prendre par la suite.
La traque
Refuser de prendre les lettres ne l’a pas dissuadé. Il y a ajouté des pétales de roses fanées (???) et a commencé à trouver mes cachettes au lycée pour venir les y déposer. Pour s’asseoir à la bibliothèque et me regarder. Quand j’ai renoncé au vélo, lassée de frôler la mort sur la route, il a commencé à me suivre de loin, pour savoir où j’habitais.
Mes camarades de classe, un groupe de filles assez hilares devant la situation, ont essayé de me pousser à me montrer compréhensive envers lui. Je leur ai donc montré le contenu des lettres et les pétales. Mais mon coup de maître a été de retouver son blog érotique. C’est ce qui a fait basculer la situation.
J’ai donc stalké mon stalker. Ce ne fut pas compliqué. Il a suffit d’associer deux ou trois informations pour trouver les écrits érotiques qui, visiblement, nous mettaient en scène tous les deux et qu’il avait généreusement livré aux internets des années 2000. Je n’étais pas vraiment choquée par le contenu, mais plutôt par le contraste entre le ton romantique et enflammé de ses lettres, et celui cru, violent, de ses écrits érotiques. C’est à ce moment que j’ai compris que derrière tout monument amoureux de la Poésie se cache une énorme trique.
L’offensive des nénettes
J’ai laissé un commentaire sur son blog. Évidement, sinon ce n’est pas drôle. Je savais qu’il ne serait pas vraiment embarrassé par ma trouvaille, mais je ne le faisais pas dans ce but. J’avais une autre idée derrière la tête.
Le lendemain, il m’attendait dans un coin de couloir interdit aux élèves sur les temps de pause, l’une de mes nouvelles cachettes. Je me suis assise face à lui, et ai attendu. Il m’a parlé de mon commentaire sur son blog, confirmant qu’il était bien derrière ces écrits délicats. J’ai écouté sans rien dire. Il a essayé de m’embrasser, mais je l’ai esquivé et suis allée retrouver mes camarades à la caféteria. Je leur ai parlé du blog et, comme je m’y attendais, elles ont été dégoûtées. La plus agée d’entre nous, qui était un peu notre grande soeur à toutes, a décrété qu’il ne fallait pas laisser le pervers m’approcher et faire passer le mot : plus aucune lettre ou autre forme de communication ne devait filtrer.
J’ai donc passé le reste des récréations en compagnie des nénettes, et à faire le trajet du retour avec elles également. Rien n’effraie plus un lycéen vaguement incel qu’un gang de meufs. J’étais à l’abri, ma tranquillité était garantie. J’aurais instinctivement préféré ma solitude habituelle, mais j’ai commencé à les apprécier. À la rentrée suivante, même si le gars était parti à la fac, j’ai continué à traîner avec le gang de nénettes de ma classe.
Les mécanismes du stalking
Si je me fie à mon expérience, j’en tire les conclusions suivantes :
- Se terrer et se cacher ne fait pas cesser le stalking, voire peut exciter le stalker et l’inciter à aller plus loin
- Plus la victime semble isolée, plus le sentiment de pouvoir du stalker grandit
- L’entourage ou les témoins n’ont pas conscience de la gravité de la situation et peuvent se rendre complices sans s’en rendre compte
- On peut se protéger en sachant à l’avance à quelles valeurs adhère l’entourage et faire basculer la situationn en sa faveur
Cependant, ces conclusions s’appliquent à cette situation précise et à cet individu. Parmi les études consacrées à ce phénomène l’une d’entre elle a chatouillé mon âme d’autiste adepte des classifications en tout genre, car elle établit une classification des stalkers en 5 types (1246) :
- Rejeté : qui n’accepte pas la fin d’une relation, un mélange, dans ses motivations, de volonté de réconciliation et de vengeance, combiné à une intolérance à la frustration, à la colère et à la tristesse.
- Recherche d’intimité forcée : cherche à forcer l’intimité avec une personne qui refuse son attention, souvent combinée avec de l’érotomanie ou de “l’infatuation morbide”, est souvent enragé par l’indifférence.
- Incompétent : a déterminé que son infatuation n’est pas réciproque, mais espère que son comportement fera changer d’avis sa victime. La decription des chercheurs me tue de rire, car elle décrit un groupe d’individus “intellectuellement limités et socialement incompétents dont les connaissances en matière de séduction étaient rudimentaires, ainsi que des hommes se sentant dans le droit d’avoir une partenaire mais aucune capacité, ou volonté, d’entamer une interaction sociale plus légère”. Je SAIS qu’il y en a certains d’entre vous dans le lot.
- Rancunier : Stalk pour effrayer sa victime, entame parfois une sorte de vendetta contre des inconnues qui ont l’air de se porter mieux que lui, ce qu’il trouve intolérable aux vues de ses circonstances difficiles à lui.
- Prédateur : prépare une agression sexuelle, prend plaisir au sentiment de pouvoir que leur procure la traque, et sont les plus à même de passer à l’acte.
La raison pour laquelle j’ai pu me débarrasser facilement de mon premier stalker est simple : ce n’était pas un stalker rancunier, que les chercheurs décrivent comme étant le type le plus difficile à dissuader, tant ils se parent de vertu et de droiture morale. Il m’est difficile de le classer : incompétent ou prédateur ? Ce qui a fini de le dissuader, c’est le barrage de meufs qui s’est formé autour de moi. Mais, que faire quand votre stalker est une femme, qui n’est absolument pas animée par une infatuation morbide à votre égard ? Quand, ce barrage de meufs, elle essaie d’en faire ses complices par des moyens détournés ?
Cela fera l’objet d’un prochain article. Et, croyez-moi, j’ai des choses à dire.
dans cet article, je vais principalement citer des études issues de The American Journal of Psychiatry. N’ayant aucune expertise dans la recherche en psychiatrie, je ne peux garantir que ces études ne soient pas complètement pétées. ↩︎