Portrait De Mes Stalkeuses

Toutes les femmes ayant une activité en ligne ont des stalkers, j’en suis convaincue. Que vous parliez de votre obsession pour Twilight ou de justice sociale, ou de recettes de cuisine exclusivement à base de potimarron, vous en aurez. Je ne sais pas trop pourquoi et je n’ai, pour l’instant, aucune théorie fumeuse à vous présenter pour expliquer ce phénomène. Mais j’ai tout de même quelques indices.

S’exprimer publiquement, sur n’importe quel sujet, est toujours un exercice périlleux. Le faire en étant une femme, c’est prêter le flan à des critiques qui n’ont rien à voir avec le fond de notre propos : notre physique, nos liens affectifs, notre manque d’empathie (cette dernière étant obligatoire pour la gent féminine), notre carrière… Il est donc suprenant que les femmes persistent à se montrer et à ouvrir leurs grandes gueules. Et, dans l’ombre, d’autres femmes observent. Et grincent des dents.

Le schéma

Le déroulement suit presque toujours le même modèle, que j’aie 12 ans ou 35 ans. J’ai toujours eu du mal à les repérer. Dans l’idée, le fait d’être stalkée m’en touche une sans faire bouger l’autre. Qu’est-ce que j’en ai à faire, moi, d’être observée par une illustre inconnue ? Mais j’ai assez subi de harcèlement au collège, puis à l’âge adulte, pour savoir qu’elles ne se contentent pas de rager en silence.

Dalia

Dans mon livre, je parle de Dalia. C’est son vrai prénom. Je n’ai jamais cherché à protéger certaines personnes apparaissant dans mon livre, car cela s’appelle les conséquences. Dalia était une camarade de classe au Lycée Français en 2000, qui a fait une fixette sur moi dès mon entrée en sixième dans cet établissement. Je n’ai jamais compris l’origine de son obsession, à part peut-être que Dalia s’était érigée en gardienne de son environnement prout-prout (riche, country club, poney et cours de tennis) et que je venais faire tâche dans celui-ci.

Je raconte comment je deviens amie avec son petit frère, qui à son tour me raconte les heures qu’elle passe à parler de moi avec ses copines. C’est là que j’appris qu’elle était amoureuse d’un garçon depuis longtemps, garçon à côté de qui on m’a assise et qui passait son temps à me faire rire, car c’était un gros débile. Le nom de famille de Dalia était malheureusement trop éloigné dans l’alphabet pour qu’elle se retrouve un jour assise en cours à côté de ce garçon.

À l’âge adulte

Aujourd’hui, je suis une femme d’un âge vénérable (35 ans), et pourtant, peu de choses ont changé. Étant en couple avec une femme, je suis à présent épargnée de la rivalité hétérosexuelle galopante qui ronge les cerveaux de femmes pourtant brillantes dans d’autres domaines. Ce qui est stupide, car je change d’avis comme je change de jeans. Mais laissons-les baigner dans cette sérénité illusoire et essentialiste.

Il existe d’autres enjeux que les pauvres types qui se retouvent à la croisée des feux entre les femmes : la carrière, la respectabilité et la réputation. Trois enjeux avec lesquels, personnellement, et comme beaucoup d’autres autistes, je me torche. Les personnes que cela obsède devienennent des candidates idéales au poste de Stalker du Moment.

En général, voici comment les faits se déroulent :

  1. La nana me repère, souvent sur le réseau social X point com (formerly Twitter), et me déteste instantanément
  2. Elle va parler en message privé à des gens qu’elle a repéré parmi mes relations, et invente des rumeurs
  3. Elle viendra rarement me confronter directement, elle passera son temps à me dénigrer discrètement, dans le but de m’isoler, car c’est ainsi que fonctionne le monde neurotypique
  4. Elle parle à la mauvaise personne, qui porte à ma connaissance ce phénomène de détraquée

Et bim, c’est ainsi que je découvre tout, perplexe. Exactement comme avec Dalia. Parfois, je découvre le contenu des messages envoyés, ou de tweets privés écrits à mon encontre, sur plusieurs mois et de façon obsessionnelle. Mêlés à leurs propos sur leur situation personnelle, sur leurs insécurités, il est assez simple d’y déceler toute la frustation et la rage qu’elles éprouvent face à… mon existence ? Elles sont spectaculairement geignardes et pessimistes sur leur propre vie. Leur vocation ? Victimes professionnelles. D’après elles, je devrais éprouver les mêmes difficultés qu’elles (réélles ou inventées dans leur esprit par leur instinct d’auto-sabotage), et si ce n’est pas le cas, j’ai forcément triché quelque part.

Cela ne vous rappelle rien ?

La psychiatrie et le stalking au féminin

Plutôt que d’en rester là, cet été, je me suis intéressée au stalking de près, et en partie au stalking pratiqué par des femmes. Pourquoi cet été ? Je vous raconte l’histoire à la fin de ce post1.

Les publications scientifiques sur les femmes qui stalkent ne sont pas nombreuses, mais assez éclairantes.

La prévalence

Certains chiffres sont vieux, mais on y découvre que les femmes stalkent, et beaucoup. En 2009, la National Crime Victimization Survey 2 rapportait que 24% des femmes et 48% des hommes déclarant avoir été stalkés l’avaient été par des femmes. Les trois études que j’ai lues cherchaient à déterminer le schéma de comportement des femmes stalkeuses, dans un but de prévention et de traitement de ce phénomène.

Les cibles

Comme dans les études plus généralistes, un classement est effectué, cette fois pour catégoriser les cibles des stalkeuses, en fonction de leur relation à ces dernières :

  • Intime (Intimate)
  • Connaissance (Acquaintance)
  • Figure Publique (Public Figure)
  • Illustre Inconnu(e) (Private Stranger)

Dans le schéma que je vous décris plus haut, j’oscille entre la catégorie Illustre Inconnue et Figure Publique, parce que c’est mon livre et le crédit qu’on apporte à ma parole par celui-ci qui peut être un déclencheur.

Les hommes stalkent principalement des femmes, tandis que les femmes stalkent les deux genres, mais sont plus propices à stalker les femmes d’après les études les plus récentes.

Les antécédents

Parmi les stalkeuses étudiées, certaines ont un casier judiciaire lié à du harcèlement et à des comportements obsessionnels. Quand j’ai pu étudier le comportement de mes stalkeuses, j’y ai trouvé le même phénomène récurrent : un comportement obsessionnel ciblant une même personne sur une durée assez longue. La cible change ensuite, quand on met fin à leurs agissements ou qu’elles trouvent une cible plus stimulante.

Ainsi, ce comportement était bien établi et je n’étais pas la seule à en faire les frais. Petite déception de ne pas être ✨spéciale✨. Je souhaite néanmoins adresser mes plus sincères condoléances aux collègues de travail actuels de Dalia.

Les actions

Toutes les stalkeuses ne vont pas établir une communication directe avec leur cible, mais les chercheurs ont compté dans leurs statistiques toute interférence avec la vie de la cible.

Cette notion d’interférence a confirmé certaines de mes intuitions sur les relations sociales et les raisons qui me poussent à en éviter certaines. Quelqu’un qui veut interférer dans votre vie n’a pas besoin d’entrer en contact directement avec vous, et c’est excatement ce que font la plupart des femmes, qui optent pour des méthodes de nuisances plus subtiles que la confrontation directe. Dans 20% des cas, les stalkeuses ont des cibles secondaires faisant partie de l’entourage de la cible : des amis, des connaissances, des collègues ou des ex.

L’intention de nuire à la personne dans ces actions a été considérée par les chercheurs comme faisant partie des “violences” infligées à la cible, actions qui peuvent aller jusqu’à la dégradation de biens, vols, et même kidnapping.

Dieu merci, on en est pas là. Même si me faire kidnapper par une follasse ne me dérangerait pas si elle est sexy. Mais je m’égare.

La violence étudiée a été catégorisée comme étant affective (principalement exercée dans un accès d’impulsivité) ou prédatrice (instrumentalisée, préméditée). En ce qui me concerne, c’est souvent la seconde qui est infligée, car nous savons depuis longtemps que je terrifie suffisamment mon prochain pour le dissuader d’user de la première. C’est également la seconde qui est privilégiée par les femmes stalkeuses. Elles sont moins propices à menacer leur cible directement, mais plutôt l’entourage de celle-ci.

Voici la liste des actions3 menées par les femmes stalkeuses (j’ai marqué celles que j’ai moi-même vécues) :

  • des appels téléphoniques incessants ✔︎
  • des messages, des lettres, des cartes ✔︎
  • une surveillance sur Internet ✔︎
  • des graffiti
  • des cadeaux indésirés ✔︎
  • des commandes passées au nom de la victime
  • des actions en justice à l’encontre de la victime
  • la propagation de fausses rumeurs pour décrédibiliser la victime ✔︎
  • des menaces ✔︎
  • dégradation de propriété ou violence à l’encontre des animaux domestiques
  • agression physique ✔︎
  • stalking by proxy ✔︎

Portrait-robot de la stalkeuse

Les femmes stalkeuses sont généralement hétérosexuelles, dans la trentaine, et seules (célibataires, séparées ou divorcées), présentant généralement des troubles psychiatriques tels que la dépression ou la personnalité borderline, et isolées socialement.

Elles sont plus à même de stalker quelqu’un du même genre et sont classées parmi les stalkers rancuniers, qui vont entamer une vendetta contre des personnes qui semblent se porter mieux qu’elles, et le stalking fait partie de cette vendetta.

Le lien avec le harcèlement

Les chercheurs ont trouvé un lien entre le harcèlement et le stalking, celui-ci étant la première étape du harcèlement pour isoler la victime.

Je suis malheureusement bien rôdée au harcèlement, comme 100% des autistes de ce monde. On se demande toujours pourquoi, d’un coup, un tel degré de violence nous tombe sur la tronche, et pourquoi des gens auparavant aimables avec nous se liguent pour nous pourrir la vie.

J’en ai discuté avec la psychiatre à l’origine de mon diagnostic d’autisme, que je vois toujours de temps en temps. Alors que je vivais exactement cette situation que je vous décris, elle m’a dit qu’il y avait probablement eu une entreprise de décrédibilisation à mon encontre, que je n’avais pas perçue.

L’impact de l’autisme

Depuis que j’ai eu ce foutu diagnostic, je passe ma vie à me demander comment l’autisme impacte ma vie, mais aussi comment l’autisme impacte la société (c’est même toute la raison de ce blog). J’ai beaucoup réflechi à cette question, et j’en ai tiré quelques conclusions.

Les raisons de la revanche

Je suis femme autiste et je tiens un blog : j’ai toutes les caractéristiques de la looseuse par excellence. Sauf que, surprise, j’ai vite appris à utiliser mes intérêts spécifiques pour améliorer ma propre vie et, accessoirement, changer le monde (hashtag modestie).

Les critères de réussite pour une autiste restent très bas : ne pas se suicider avant ses 20 ans, vivre en autonomie et garder un travail, c’est déjà la panacée. Mais en plus, j’ai eu le culot de m’accrocher à des études supérieures, de publier un bouquin autobiographique DANS MA VINGTAINE et de m’insérer dans l’industrie technologique sans aucun diplôme formel en la matière, juste par la force de mon énorme cerveau. On peut se le dire : je vous fais la nique.

Ces petites victoires liées à mes lubies du moment froissent des personnes qui ont fait du statut de victime leur personnalité, statut par lequel elles parviennent à manipuler leur entourage virtuel et IRL en faisant appel à la pitié et aux manifestations de soutien superficielles sans intérêt. C’est donc sans surprise que ces personnes vont chercher à nier ma condition d’autiste, ethnique, ou ce qui les obsède à ce moment-là. Ça ne colle pas à la rhétorique, c’est tout.

Tout cela, ce sont des signes extérieurs de réussite superficiels. Si demain je finis sous un pont, soyez sûrs que je trouverai toujours le moyen de rendre ça classe et de continuer à faire rager sous les chaumières. Le véritable enjeu c’est que, ce que je décide, je le réalise. Mais alors, comment je fais ?

Le secret de la réussite (ou ce qui est perçu comme telle)

Peu importe que je mette en avant dans mes écrits l’importance de l’entraide et des systèmes de solidarité qui m’ont personnellement aidée à dépasser aussi bien ma condition sociale que les entraves disposées sur mon chemin. Ces personnes en font l’impasse.

Des gens ont levé ces entraves et m’ont débroussaillé le chemin pour que je puisse exploiter mon potentiel ; d’autres m’ont protégée contre des gens malveillants ; d’autres m’ont donné les moyens de réaliser ce que j’avais en tête ; et d’autres m’ont suivi dans mes délires jusqu’au bout du monde en m’apportant leur soutien inconditionnel (big up à mon partenaire du hackathon EthGlobal Istanbul, par ailleurs).

C’est que je m’acharne à décrire dans chaque page de mon putain de bouquin. J’ai consacré ma vie à la construction d’alliances souterraines entre rebuts de la société, en clamant haut et fort que je vous emmerde, en vous considérant comme indésirables si votre comportement révélait un peu trop les failles narcissiques que vous essayez de combler sur notre dos, et en vous écartant de ma route pour aller trouver mes semblables.

Une cause perdue ?

Ces femmes, les versions adultes de Dalia, ne pourront jamais bénéficier d’un tel niveau d’entraide et de solidarité. Elles sont trop empêtrées dans des dynamiques complexes d’auto-sabotage. Elles sont tellement obsédées par leur réputation qu’elles se coupent des opportunités de tomber, parfois, sur quelqu’un qui va vous embarquer dans un truc et changer le cours de votre vie.

J’aimerais être en mesure de les raisonner, de leur montrer les choses incroyables qu’elles pourraient réaliser en consacrant toute cette énergie à des buts plus nobles. Mais ce que j’ai lu à leur sujet dans les études psy est peu porteur d’espoir. Comme le disait Freinet : on ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif.


  1. J’ai menti, ce post était déjà trop long, donc ce sera dans un prochain post. ↩︎

  2. The Female Stalker, 2011 ↩︎

  3. Understanding female-prepetraded stalking, 2021 ↩︎